Des Parfums et des Villes
Des Parfums et Des Villes
Chaque ville a son parfum unique. Quand je suis arrivée en France le parfum de ce pays m’a littéralement "sauté aux narines". Je me suis dit : « Tu délires complètement, c’est de la science-fiction ! ». Alors, pour en avoir le cœur net, j’en ai parlé à un ami russe qui venait d’arriver en France, un peu avant moi. Il a éclaté de rire : « Oui, tu le sens toi aussi ??!! ». Après on plaisantait en supposant qu’au consulat de France à Moscou les employés ramènent « l’air français » dans des ballons qu’ils ouvrent à l’intérieur pour laisser le parfum du pays se répandre dans leurs bureaux.
A quoi il ressemblait, ce parfum ? A un mélange du café, de la cigarette, d’une lotion après-rasage, des pages des journaux, du pain frais, du cuir et des feuilles d’automne.
Quand j’ai commencé à voyager à travers le monde grâce à mon travail dans une Grande Compagnie Aérienne, je me suis rendue compte que chaque pays, et surtout chaque ville sentait quelque chose qui lui était propre. Bien sur, les notes changent : selon si c’est un lundi matin ou un samedi soir. L’heure et la saison les modifient, mais l’essence de la flagrance reste la même pour chaque ville. Et ça me faisait penser à une transformation du parfum sur la peau : selon la peau sur laquelle il est posé, selon l’atmosphère qui l’entoure et selon le vêtement qui est porté avec – un parfum ne se transforme pas de la même manière dans le temps. Mais sa note dominante reste la même.
Comme pour les pétales de roses, la branche de jasmin et les fleurs d’ylang-ylang de Chanel n°5 – quoi qu’il arrive, ce bouquet est là, mais il ne se révèle pas de la même manière selon le « qui-quand-et-comment » le porte.
Alors, si je devais (de façon totalement subjective évidemment) mettre un parfum sur la ville de Paris en hiver, je dirais « Eau Sauvage » de Dior : eau qui a « de la bouteille » (près de 50 ans de vie), de la note fleurie pour la fraicheur, mais déclinée au masculin, pour la contenance. Un chic incarné.
Pour Paris en été – je dirais « Coco Mademoiselle » de Chanel, pour son jus rose –claire, et son mix frais-oriental-chypré. De la désinvolture sage.
Pour la Ville de New-York c’est le « Costume National » (de la marque du même nom) qui me vient : the au jasmin, hibiscus et ambre. Parfum masculin-féminin, tantôt frais, tantôt capiteux.
Et pour ma troisième ville préférée, celle de Hong Kong, je choisis le parfum le plus délirant que j'ai porté de toute ma vie : « Odeur 53 » de la marque Comme des Garçons. Délirant ,parce que il est fait de 53 composants abstraits, comme des impressions, mais en réalité ce sont des odeurs des atmosphères différentes, obtenues grâce au clonage des matières inorganiques : oxygène, dunes de sable, métal, linge en coton qui sèche au soleil, roche en fusion, l’air frais des montagnes. Impossible à décrire. Au résultat ça donne une odeur comme une seconde peau : naturelle et enivrante à la fois. Comme un prolongement de soi-même. Rien qu’à en parler, ça me donne envie de le porter à nouveau.
J’adore cette expression – « porter un parfum », comme on porte un vêtement, une humeur ou un état d’esprit. Comme on porte un manteau sur ses épaules, entourées par les bras d’une ville. Qui, elle, à son tour, porte son propre parfum.
M.B.